Dominique Comtat est photographe et réalisateur. Il a présenté aux Rencontres internationales sciences et cinéma 2016 son film Fungi à Marseille, l’occasion de s’asseoir et discuter avec ce passionné de l’image et de champignons.

 

Bonjour Dominique Comtat ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis réalisateur depuis un peu plus d’une trentaine d’années. Je viens d’un milieu plutôt Beaux-Arts que cinéma. J’ai fait après le bac des études aux Beaux-Arts à Genève qui était à l’époque la seule époque de Beaux-Arts où il y avait une section cinéma. J’étais plutôt du côté du cinéma expérimental. Après ça, j’ai réalisé des films sur pellicule de façon indépendante comme quasiment tous mes films. J’ai également été prof aux Beaux-Arts pendant trois ans puis j’ai quitté la Suisse et j’ai un peu coupé les ponts. J’habite maintenant dans un hameau isolé et je continue à faire des films.

 

Vous avez présenté Fungi aux RISC, quelques mots à propos de ce court métrage ?

Le thème est assez différent de ce que je fais d’habitude, la forme pas tellement. C’est quelque chose qui m’est très proche et que je connais depuis très longtemps, d’abord par l’enfance, par mes grands-parents. C’est un monde qui m’a fasciné donc j’ai essayé d’apprendre par moi-même en lisant des bouquins de mycologues. Ce qui est fabuleux c’est qu’à partir de champignons ces gens-là ont une connaissance du monde assez extraordinaire. Roger Heim qui était directeur du muséum à Paris et un grand mycologue a été le premier anthropologue à s’intéresser aux cérémonies liées aux champignons sacrés au Mexique. Il est allé le premier avec un anthropologue américain s’initier à ces rites. Marcel Locquin, un contemporain de Heim a travaillé sur l’histoire de l’art et les représentations du champignon, sur la mythologie et sur la gastronomie.

Ce sont des gens qui m’ont passionné pendant très longtemps. Depuis cinq ou six ans, je fais beaucoup de photos de champignons d’une part parce que je suis attiré par ce monde (le changement d’échelle est fascinant) et aussi parce que je prenais les photos pour pouvoir ensuite identifier des espèces que je ne connaissais pas. Je me suis dit, un jour, pourquoi ne pas faire un film avec ces photos et rendre hommage à ces mycologues et aussi à John Cage qui est un musicien qui m’a toujours passionné et qui est aussi mycologue.

C’est très différent de ce que j’ai pu faire auparavant car ce n’est pas un film où il y a un discours, une intention. Mes autres films traitent beaucoup plus de la mémoire et de questions philosophiques.

 

Là nous sommes donc sur un thème bien différent mais si vous deviez dégager un point commun entre Fungi et ce que vous avez fait avant quel serait-il ?

Il y a toujours une recherche de connaissances. Au départ, je voulais faire un film pédagogique – mais ce n’est pas vraiment mon truc et j’ai abandonné – parce que la plupart des gens ignorent tout de ce monde. On connaît généralement cinq ou six espèces alors que ce que l’on appelle champignon visible comprend environ 10000 espèces. Et des champignons en général, il y en a des millions d’espèces. J’aime beaucoup cette phrase de Carteret à la fin du film qui dit que si le monde des champignons disparaissait la planète s’écroulerait sur elle-même. Et ce pour plein de raisons, la première étant très française : le pain, le vin et le fromage. Aussi dans les forêts en cette saison, en automne, il y a des tonnes de feuilles mortes qui disparaissent et si elles ne disparaissaient pas, on serait enfoui sous les feuilles mortes et ça c’est aussi l’action des champignons. La plupart des gens, quand on dit champignon, pensent aux parasites. Il y a des parasites, il ne faut pas le nier, mais la plupart des espèces sont en symbiose avec une plante haute, un arbre ou une herbacée qui amène énormément de choses et en échange le champignon va amener des sels minéraux qui sont bénéfiques pour la croissance de l’arbre. Ce qu’on ne sait pas c’est que du mycélium il y en a partout : sous le goudron il y en a. Ces spores, ces graines microscopiques, sont partout, en parlant j’en avale. Il y en a partout mais on ne ramasse que cinq ou six espèces pour les manger.

 

Comment avez-vous réalisé vos prises de vue ? Quelle a été votre démarche ?

Au départ il n’y a pas vraiment de démarche dans les prises de vue parce que je ne pensais pas au film. On essaye de représenter ce monde et de comprendre en faisant de la photo pourquoi cela m’attire et m’intéresse. Et il y avait un autre type de photo pour l’identification sur lesquelles il faut voir les lamelles et la structure du pied.

Après, en faisant le film, il y a des volontés, en faisant une partie qui est image par image, de n’avoir que des vues verticales sur les chapeaux et d’étudier les différentes couleurs chez la rousselette par exemple. Ca va très vite mais on passe de la gamme du blanc au brun, à l’orange, au rouge, etc.

Il y a aussi une série de photos où le champignon est de profil, notamment des lépiotes. C’est toujours image par image, ça va très vite et c’est très saccadé. Ce sont différents champignons mais on voit l’évolution entre le champignon fermé qui commence à s’ouvrir petit à petit et même, ce qui n’est pas du tout naturel, qui va se refermer un peu comme un oiseau. Là c’était une des volontés par rapport au film.

 

Quand vous avez commencé à penser au film, vous a-t-il manqué beaucoup d’images ?

Oui, j’ai dû en refaire. Je savais en général ce que j’allais chercher mais, heureusement, il y a toujours des surprises.

 

Qu’est-ce qui vous fascine dans cette vision macroscopique de champignons comme on peut voir dans Fungi ?

Il y a ce changement d’échelle : dans les premiers plans du film, je ne sais pas si on comprend que l’on est dans le monde mycologique. Ça pourrait être autre chose. Il y a cette recherche de structures, de matières qu’on ne peut voir qu’à la loupe. Il y a juste la beauté de ces êtres.

 

Lors des RISC vous avez rencontré le public. Que vous apporte les sessions d’échange avec lui ?

C’est toujours intéressant. De savoir comment est reçu le film parce que c’est quand même une forme un peu expérimentale. Il y a eu des échanges que j’ai trouvés passionnants sur la relation entre la démarche scientifique et la démarche artistique. Ce sont des choses qui m’ont convaincu de ce que je savais déjà : même dans les sciences que l’on appelle dures – mathématiques, physique, etc. – il y a une part d’intuition, de recherche, de tâtonnement, d’hésitation, de doute qui sont assez proches de la démarche de l’artiste.

On a beaucoup parlé de l’intuition, de ce que c’est. Je suis persuadé que l’intuition est quelque chose de magique mais pas complètement : si on a une intuition c’est aussi parce que l’on a tout un bagage derrière soi, un travail de réflexion.

Pour revenir aux champignons, par exemple, quand je pars me promener, je sais plus ou moins quelles espèces je vais trouver. C’est de l’intuition sans être de l’intuition. Il y a une connaissance de la géologie, du climat. Il y a cette phrase d’un scientifique – je la cite très mal et j’en ai malheureusement oublié l’auteur– qui dit qu’une équation qui est juste doit être belle. Je trouve ça assez magnifique qu’un scientifique dise ça. Après je ne sais pas trop ce qu’est une belle équation (rires).

Il y a un lien formel avec mes précédents travaux. Très schématiquement, il y a deux formes : une plus classique, documentaire et une forme plus expérimentale. Mes films expérimentaux sont beaucoup plus courts, d’une à deux minutes. Dans cette forme expérimentale, j’ai toujours, dès le début même quand je faisais de la pellicule, travaillé la photo en réfléchissant au rapport entre la photo ordinaire telle qu’on la conçoit et le photogramme parce que le cinéma est fait de 25 photos par seconde. Que se passe-t-il si on rallonge le photogramme à deux images au lieu d’une, à trois, à quatre… J’avais notamment réalisé un film de 50 minutes dans les années 1980 qui s’appelait « Courir les rues » qui, à l’époque où il n’y avait pas Photoshop et les autres logiciels de montage, étaient fait entièrement à partir de photos. Je photographiais les acteurs dans la rue en les enregistrant. À partir d’un millier de photos par exemple, je recalculais combien d’images devrait filme chaque photo pour qu’il y ait une décomposition au niveau du mouvement. Ce sont ces références qui sont liées à la préhistoire du cinéma (Marey, Muybridge) qui m’ont toujours fasciné et qui étaient d’ailleurs des scientifiques.

La photo revient tout le temps. Maintenant, beaucoup de films sont fait uniquement avec des appareils photos.

 

DOMINIQUE COMTAT : DE LA PHOTO AU CINÉMA

 

Vous avez commencé par la photographie, mais comment êtes-vous tombé dans cette passion de l’image ?

(rires) Il faudrait une psychanalyse ! Je ne sais pas, dès l’enfance j’étais passionné par la photo. Évidemment il y a cet objet magique qu’est la photo. Enfant, j’y pensais déjà : qu’est-ce que c’est que d’arrêter le temps ? quel est le rapport entre la photo et le souvenir ? est-ce qu’on peut figer un instant vécu et s’en souvenir dans dix ans ? C’est ce genre de questions que je me posais quand j’étais gosse. Après, il y a un aspect plus culturel où j’ai appris et vu des images de grands photographes qui m’ont beaucoup parlé.

 

Comment êtes-vous passé de la photo au cinéma ?

C’est plus ou moins dû aux hasards de la vie. Après mon bac, j’hésitais à continuer des études en philosophie ou en mathématiques. J’hésitais à tout arrêter et reprendre une ferme. Et j’hésitais à faire de la photo en tant qu’artiste. Alors j’ai pris une année sabbatique pour réfléchir à tout cela et j’ai décidé de faire les Beaux-Arts en photographie. Il se trouve que la première année les cours étaient intéressants au possible avec de la technique et il y avait mes cours de sémiologie de l’image qui étaient par contre passionnants et qui étaient tournés vers le cinéma.

C’est sûr que j’étais cinéphile avant mais c’est ça qui m’a fait choisir cette option cinéma. Au départ, je ne pensais pas être réalisateur, je voulais être photographe.

 

Pour continuer avec votre carrière, comment êtes-vous devenu enseignant ? Est-Ce que c’était par nécessité ou était-ce une volonté de transmettre vos connaissances et votre expérience ?

En fait, là aussi c’est le hasard. Le professeur de sémiologie que j’aimais beaucoup a quitté les Beaux-Arts. Il avait créé cette section avec un prof de pratique, un réalisateur, et quand il a quitté les Beaux-Arts pour enseigner à l’université, il a réunis quelques anciens étudiants dont moi et a demandé qui voulait reprendre la section. Je n’ai pas ouvert la bouche, j’étais extrêmement timide, encore plus que maintenant. Je n’ai rien dit et ils ont parlé du rôle de l’enseignement de l’image et, une semaine après, le professeur m’a appelé en me disant « Dominique, tu reprends mon poste ». Ce n’était absolument pas choisi et j’étais complètement paniqué. La première année a été catastrophique et ensuite c’est devenu absolument passionnant parce que tout ce que l’on sait, de façon intellectuelle mais aussi dans les gestes, nécessite de se poser la question « mais comment vais-je transmettre ça ? ». Charger une caméra est tellement mécanique : comment l’expliquer ? Il y a une constante remise en question et en forme de son savoir qui est passionnante. Les échanges avec les étudiants ne sont pas à sens unique, ils vont dans mes deux sens et je crois avoir autant appris que ce que j’ai enseigné.

 

Des photographes qui vous ont inspiré ?

Il y a quelques photographes qui m’ont bouleversé quand j’étais jeune comme Diane Arbus, Tony Ray-Jones à propos duquel j’ai réalisé un film. J’étais déjà cinéphile et j’ai la chance du temps de ma jeunesse de pouvoir voir Pasolini, Robert Bresson, Chris Marker et d’autres dans des cinémas normaux et pas dans des salles d’Art et d’essai. Je me suis donc d’abord formé ma cinématographie et mes grandes influences et c’est toujours drôles d’en parler parce qu’elles ne ressortent pas forcément dans mon cinéma.

 

Malgré l’augmentation d’un nombre de sources d’information, ces références-à ont l’air moins accessibles…

Oui et j’en suis persuadé. Il n’y a plus de films de Robert Bresson qui passent au cinéma, il n’y a pas d’édition DVD, il n’y a que quelques films en ce moment. Il y en a un que je n’ai jamais vu, les Quatre nuits d’un rêveur, et je ne sais pas si je verrai un jour parce qu’il n’est plus jamais ressorti.

Chris Marker est plus accessible en DVD mais il n’y a pas tout non plus.

Ce sont des films qui sont devenus presque invisibles.

 

Qu’est-ce qu’un festival comme les RISC apporte à la scène culturelle et en quoi ce genre de festival est important ?

Ils permettent justement de voir des films contemporains mais quasi-invisibles. J’ai découvert plein de films hier soir et je ne connaissais qu’un seul des six ou sept auteurs de la soirée. Cet échange direct avec le public est vraiment important et ce rapport sciences et cinéma qui est très intéressant.

Il y a quelques festivals comme celui-ci qui sont très ouverts et les grands festivals ne m’intéressent plus, ils confirment des gens déjà confirmés. Ce que j’aime beaucoup dans ces festivals c’est l’ouverture vers d’autres domaines que le cinéma-même.

 

Des projets à venir ?

Je travaille depuis un an comme salarié – c’est la première fois que cela m’arrive et c’est bizarre (rires) – avec une troupe de théâtre de rue. Dans ce cadre, je collabore avec Séverine Bruneton et Giulia Ronchi qui font un travail sur la mémoire, les commémorations et les guerres. Il s’agit de l’association Une idée dans l’air basée à Apt. Je suis plutôt lent dans mes réalisations. Depuis que je travaille avec elles j’ai réalisé une dizaine de films en une année alors que je fais normalement un à deux courts-métrages maximum par an ou un long métrage sur trois ans. C’est assez nouveau pour moi : il y a beaucoup d’urgence et moins de distance. Je n’ai plus beaucoup de projets personnels mais j’ai quand même pris le temps l’an dernier, en travaillant avec elle, de finir Fungi.

J’ai toutefois un projet de documentaire sur la greffe. C’est un peu comme les champignons : tout le monde mange des fruits et des légumes mais peu de gens savent que ça vient d’un acte humain de greffer un arbre sur un autre.

 

Nous nous sommes retrouvés au Palais Longchamp à Marseille pour cet entretien, un mot sur ce lieu pour finir ?

Je connais Marseille depuis assez longtemps et c’est un lieu que je trouve complètement baroque et grandiose. Il y a dans cette architecture quelque chose d’assez fascinant et unique.

Je ne sais pas pourquoi il me renvoie aussi à l’enfance. J’ai fait de nombreuses photos au Palais Longchamp et c’était uniquement des photos d’enfants. C’est aussi un endroit calme et comme on parlait de champignons, il y a un coin de verdure. On pourrait s’amuser à aller regarder sur les pelouses s’il y en a qui traînent !